
Mardi 17 mai 2022. Il est 17h51, je suis dans le train qui me ramène de Paris à Angers. Je viens de terminer la cinquième et dernière journée de formation au croisement des savoirs et des pratiques avec les personnes en situation de pauvreté, conduite par ATD Quart Monde en collaboration avec l’Institut Catholique de Paris.
Journées étalées depuis le mois de décembre dernier, au cours desquelles j’ai pu comprendre la démarche éthique conçue par le Mouvement ATD Quart Monde et m’approprier les étapes et méthodes qui en découlent.
Une ambition : lutter contre la pauvreté et participer au changement social.
Un principe fondateur : les personnes concernées par la pauvreté sont les mieux placées pour en parler et le croisement des savoirs de l’expérience, les savoirs professionnels et les savoirs universitaires représente une vraie force collective pour amorcer des changements tangibles.
Pour comprendre le croisement des savoirs, il faut le vivre.
C’est pourquoi cette formation était organisée autour de 3 groupes de pairs : des militants ATD Quart Monde qui vivent ou ont vécu dans des conditions de pauvreté d’une part, des professionnels ou bénévoles intervenants dans les champs du travail social, de la solidarité ou de l’éducation populaire et des étudiants de l’ICP. La richesse de la formation tient en grande partie à ce travail par groupe de pairs et cette confrontation des points de vue et des regards. Ce travail par groupe de pairs, c’est la base de toute démarche de croisement. A travers cette formation, nous avons vécu la réciprocité : le savoir s’élabore dans une relation et chaque acteur de cette relation apprend de l’autre.
Pour chaque groupe de pairs, un ou deux animateurs/formateurs et 2 animateur.rices pour les temps de travail en plénière.
Nous avons retrouvé des outils habituels de l’éducation populaire : travaux en petits groupes, photolangages, post it… Ces outils sont au service de 3 étapes clés :
- Le travail sur les représentations que l’on a d’un même sujet
- L’analyse partagée de situations concrètes
- La construction collective de solutions face aux problèmes repérés
Alors forcément quand les mots des professionnels se confrontent au regard des personnes qui vivent ou ont vécu la pauvreté au quotidien, ça pique, ça gratte, ça nous fait réfléchir.
Le mot cadre par exemple, que nous pouvons employer quand on fait référence à un cadre relationnel, un cadre sécurisant ou encore une méthodologie peut faire écho pour d’autre à quelque chose de rigide, bloquant, déconnecté des réalités. Et si on ne prend par le temps d’expliquer, reformuler, illustrer à l’aide d’exemples ce que l’on veut signifier, c’est le malentendu assuré.
Pendant ces jours de formation, j’ai appris…
… le décalage qu’il peut y avoir entre nos visions idéalistes de professionnels ou d’associations et la réalité de vie, le côté pragmatique vers lequel nous ramènent les personnes directement concernées.
… que la définition des objectifs d’une démarche de croisement des savoirs est en soi une démarche qui prend du temps et nécessite de se mettre d’accord sur la définition du sujet, d’être précis.
… l’existence des tortues dans l’animation de groupe ! les tortues désignent des temps de retour en groupes de pairs au milieu d’une plénière lorsque la discussion se bloque, que l’incompréhension persiste ou que les personnes ne sont plus à l’aise pour s’exprimer en grand groupe. La tortue, c’est l’image du groupe qui se rassemble et se serre les coudes, à la manière d’une carapace.
…l’importance de préparer ces temps d’échanges avec les personnes en situation de pauvreté en amont. Elles n’ont pas l’expérience que l’on a en tant que professionnels, de s’exprimer, formuler un point de vue, se positionner en réunion… La préparation est indispensable pour éviter les situations de panique, inquiétude, mutisme, incompréhension…
… la reformulation ! Nous avons passé beaucoup de temps à reformuler ou demander des reformulation pour être sûr d’être compris.e et d’avoir compris. Ce temps est absolument nécessaire pour avancer. Ca prend du temps de réussir à se comprendre !
…la puissance du groupe de pairs. J’en était déjà convaincue mais avec cette formation, je l’ai vécu. Le fait de partager un vécu commun et de construire une parole collective à partir des expériences singulières. C’est puissant et cela donne du pouvoir d’agir !
Le croisement est une philosophie et une démarche éthique qui peut se décliner et de vivre de plein de manières différentes. Nous avons découvert de multiples expériences : co-formation dans le champ du travail social, croisement des savoirs sur le thème de la scolarité avec des parents, des enseignants et des acteurs des quartiers, travail de recherche par le croisement des savoirs sur le thème des dimensions cachées de la pauvreté, du droit aux vacances, comité d’usagers dans le champ de la protection de l’enfance ou encore l’Assemblée Populaire organisée en octobre 2021 à Poitiers.
Pour aller plus loin :
- La charte du croisement des savoirs
- Le film sur l’Assemblée Populaire – Bientôt accessible
- Le film « les conditions de la participation »

Maud Cesbron
maud.cesbron@centres-sociaux.fr 07 57 18 88 26 Coordinatrice de la PoP id | Fédération des Centres sociaux 49-53